Saturday, October 22, 2011

La pauvreté, un marché qui se révèle lucratif !


La pauvreté

un marché qui se révèle lucratif !


La course au profit s'immisce dans les moindres recoins de la planète, dans les moindres recoins de notre quotidien. Les capitaux courent après des espaces où réaliser des taux de profit toujours plus importants. Dans cette course toujours plus meurtrière, les places se vendent cher et de plus en plus cher. La concurrence acharnée voit de plus en plus de capitaux s'écrouler, d'entreprises fermer leurs portes. Les fusions retardent à peine l'effondrement de grands consortiums, les banques continuent à évoluer sur le fil du rasoir,…

Et voilà que des espaces de chasse jusqu'ici délaissés par les capitalistes attirent tout à coup leur avidité…. La pauvreté: un marché qui pourrait s'avérer bien plus rentable qu'il n'y paraissait !

L'entrée en scène de nouvelles solutions! En 2000, Coimbatore K. Prahalad, un des stratèges d'entreprise les plus influents de la planète, dans un article intitulé “The fortune at the base of pyramid” (La fortune à la base de la pyramide), soutenait que les multinationales se devaient d'intégrer dans leurs cibles les quatre milliards de personnes vivant avec moins de 4 à 6 dollars par jour. Car si les marges sont faibles, le volume est tel que les opportunités de ce marché sont considérables. C.K. Prahalad avançait le chiffre d'affaire de 13 milliards de dollars. Aujourd'hui, les quatre milliards de prolétaires vivant de la sorte sont devenus une nouvelle catégorie économique simplement désignée par l'acronyme BoP (Base of Pyramid) et l'effet BoP est intégré au programme de la plupart des business schools.

“Ces stratégies constituent de formidables laboratoires d'innovation pour les multinationales […]. Leur réussite repose sur la capacité des sociétés à tisser de nouveaux liens avec des opérateurs non traditionnels, publics ou associatifs. Elles font évoluer la frontière entre multinationales et organisations non gouvernementales (ONG) dont les relations ne se limitent plus à un transfert financier organisé dans une logique de mécénat. Il s'agit ici de co-création et d'alliance de compétences complémentaires.”

Extrait de Le Monde, Spécial économie solidaire,
le 26 mai 2010

Sous le couvert d’ “aide au développement” ou d’ “aide humanitaire”, les ONG se voient confirmées et renforcées dans leur fonction de tête de pont des opérations économiques et militaires. (Les unes ne vont pas sans les autres). Rompues au contrôle des populations via, entre autres choses, la soumission aux programmes pharmaceutiques,… les ONG offre aux multinationales une connaissance du terrain qui va leur permettre de pénétrer et envahir le marché BoP avec d'autant plus d'efficacité.

“Tisser de nouvelles alliances sociales”. Les multinationales vont utiliser au mieux les compétences des ONG pour développer de nouveaux mécanismes qui fonderont “le futur modèle économique”.

L'exposition de sieur Prahalad est claire, le profit est et reste au centre de toute stratégie économique, l'humain, un accessoire. Paradoxalement et aussi grossier que cela puisse paraître, ceux qui essaient de nous vendre l'effet BoP ne manquent pas d'affirmer que: De telles stratégies permettraient de lutter contre la pauvreté! La guerre se fait toujours au nom de la paix!

Le binôme Banque mondiale / ONG est à cet égard très parlant. Déjà dans les années 1970, Robert McNamara[1] alors président de la Banque mondiale, rencontre en John Turner l’architecte capable de donner un nouveau cours à l’expansion critique des bidonvilles. Celui-ci fasciné par le génie créatif des occupants des bidonvilles, fait abandonner l’idée d’en reloger les occupants et propose de “viabiliser” les bidonvilles. La réduction drastique des budgets alloués à la construction d’habitats à loyers modérés (hlm) ne pouvait que séduire les gouvernements. Il faut aider les pauvres à s’aider eux-mêmes, ça revient moins cher! Voilà le projet qu’allait parrainer le Département du développement urbain de la Banque mondiale. Sur cette lancée, en 1990, Hernando de Soto, homme d’affaire Péruvien, affirme que les habitants des bidonvilles sont en fait riches mais qu’ils ne peuvent faire valoir cette richesse étant donné qu’ils n’ont aucun acte légal de propriété. Selon lui le seul fait d’officialiser ces droits créerait instantanément une énorme masse de capital foncier, pour un coût très faible. Il affirme qu’il y a un profit énorme à en retirer. Il parle en billions dollars. Et en plus ce serait intégrer tous ces illégaux dans l’assiette fiscale!

En pratique, l’octroi de titres de propriété exclut définitivement ceux qui n’ont pas les moyens de payer les coûts supplémentaires, de toute possibilité de logement. La légalisation crée l’obligation de payer des taxes pour les uns, un loyer pour les autres. Dans la majorité des cas les propriétaires se voient rapidement obligés de vendre et cela fait monter les prix. Les loyers augmentant, les locataires se voient obligés de se replier sur des logements plus petits et bien plus insalubres qu’auparavant. Le résultat est que la plupart des prolétaires émigrent vers d’autres terrains plus éloignés et non encore occupés. De plus l’éloignement du centre ville entraîne des coûts prohibitifs en déplacements qui se font de plus en plus longs et prennent de plus en plus de temps. Par l’installation d’égouts, d’arrivées d’eau et d’électricité ceux qui ont raflé les terrains font flamber les prix et les prolétaires se voient définitivement exclus du quartier. Voilà comment en échange d’un acte d’écriture, le capital reprend possession d’un espace qu’il ne contrôlait plus. Il a premièrement installé un clivage en faisant naître des intérêts différents entre les ayant droit et les exclus, deuxièmement créé un appauvrissement encore plus grand; et troisièmement, expulsé en ordre dispersé ceux qui jusque là empêchaient la valorisation de ce capital foncier.

Tout simplement expulser les habitants des bidonvilles robot cops & bulldozer à l’appui, c’était courir le risque de se retrouver face à des rangs de prolétaires soudés défendant leurs habitats avec acharnement.

Rendre un certain nombre d’occupants propriétaires de leur logement -aussi minable soit-il- est un moyen sûr pour individualiser ce qui aurait pu faire l’objet d’un combat plus collectif. Au cœur de ce processus, les ONG sans lesquelles l’adhésion à ce type de plan ne pourrait pas se faire. Les ONG qui font miroiter aux habitants des bidonvilles que cette régularisation leur apporterait un mieux être, les ONG qui organisent le recensement de la population, font les expertises du terrain, étudient les dossiers cas par cas, individualisent le problème et décident de qui y aura droit et qui devra s’exiler plus loin encore. Voilà pourquoi les ONG sont devenues les partenaires indispensables des grandes institutions internationales telles la Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour le développement, le Département britannique pour le développement international, la Fondation Ford ou encore la Fondation allemande Friedrich Ebert.

En bref, associées dans la prétendue stratégie de réduction de la pauvreté de la Banque mondiale et parrainées par celle-ci, les ONG se sont révélées de très efficaces gestionnaires des plans d’expulsion. Elles assument la fonction de soupapes de sécurité indispensables au démantèlement des quartiers prolétaires illégaux. Elles font barrage à l’explosion brutale de la colère.

“Les ONG n’ont de cesse de subvertir, désinformer et démoraliser les gens afin qu’ils se tiennent à l’écart de toute lutte de classe. Elles adoptent et propagent la pratique qui consiste à mendier des faveurs en s’appuyant sur la pitié et l’humanitarisme […]. Concrètement, ces agences et ces organismes interviennent systématiquement pour s’opposer à la voie émeutière […] en focalisant [l’attention] sur des problèmes purement locaux et en empêchant ainsi les gens de faire clairement la distinction entre leurs ennemis et leurs amis.”

P.-K. Das Manifesto of a housing activist
cité par Mike Davis in Le pire des mondes possibles

A Manille, aux Philippines, l’achat de terrain et la régularisation des titres de propriété ont donné naissance à une concurrence acharnée entre des individus naguère membres d’une même association de squatters.

“La tâche qui consistait à déterminer la valeur sociale des terrains, à le faire accepter par ses membres et, au bout du compte, à expulser ceux qui se révèlent incapables de la payer, ou qui refusent de le faire, est une épreuve cruelle pour toutes les associations locales. L’époque à laquelle le K.-B. [association de squatters] pouvait être pris pour l’un des rouages d’un ‘mouvement social’ contre le système est définitivement révolue. Maintenant qu’ils sont devenus propriétaires, les leaders du K.-B. jugent leur alliance avec d’autres organisations de squatters obsolète et développent au contraire leurs liens avec les institutions gouvernementales.”

Erhard Brerner, Defending a place cité par Mike Davis in Le pire des mondes possibles

L’impact général des ONG est la déradicalisation et l’émiettement des mouvements de résistance à l’appauvrissement toujours plus profond. Voilà, en résumé, l’œuvre des ONG: briser les pratiques de résistance collective et permettrent aux magnats de l’immobilier de réinvestir les bidonvilles avec une puissance redoublée. Des billions de dollars? Oui! Une réduction de la pauvreté? Non! Au contraire.

Une des conséquences directe de ce type de politique est l’augmentation faramineuse des prix du terrain et des loyers dans les bidonvilles. Les taudis surpeuplés et mal entretenus sont souvent plus rentables au mètre carré que les autres types d’investissement immobilier. Au Brésil, des chercheurs d’ONU Habitat ont été surpris de découvrir que les loyers dans les cortiços[2] sont environ 90% plus chers que le marché officiel. A Bombay, en Inde, les habitants des bidonvilles paient l'eau trente cinq fois plus cher que les habitants des quartiers résidentiels. Dans les bidonvilles de Kumasi, au Ghana, où des latrines payantes ont été installées, y déféquer, revient moyennement à 10 % du salaire par personne[3].

Devenir petit propriétaire d’un bout de terrain, emprunter pour acheter des matériaux de construction… ouvrir un petit magasin qui vend l’huile au dl, les cigarettes à la pièce, la poudre à lessiver par 20 gr.,… plus largement il s’agit d’amener ces prolétaires dans le circuit de la micro entreprise. Jusqu’alors, les prolétaires ne pouvaient qu’exceptionnellement satisfaire les critères d’accès à des aides financières. Mais il semble que le vieil adage “On ne prête qu’aux riches” soit soudain remis en question.

Ce que visent les stratèges bourgeois, c'est le marché potentiel que représente le créneau de l'endettement! Qu'il vive à Paris ou à Dakar, à Pékin ou à Jakarta, au Bengladesh ou au Venezuela, au Sud ou au Nord,… le prolétaire se voit solliciter par des formules miracles de crédit.

“Les pauvres sont de très bons emprunteurs, très disciplinés […] de toute façon c’est la chance de leur vie. Ils croient qu’en étant de bons emprunteurs ils vont améliorer leur situation économique […] Il faut encourager les fonds privés dans ce secteur[…] Le marché est énorme, rentable […] plus le revenu des gens augmente plus ils s’endettent […] De toute façon, il restera toujours assez de pauvres.”

Déclaration, ô combien éloquente d’Alok Prasad, directeur commercial de la City Bank en Inde, dont le slogan est “Votre argent peut changer le monde” !!!



[1] Stratège en chef de la guerre menée par les USA au Viêt-nam.

[2] Taudis subdivisés constituant le bidonville dans la favela.

[3] D’une manière générale, les prolétaires les plus pauvres n’ayant aucune capacité d’avance d’argent, paient leurs marchandises d’autant plus cher. Obligés d’acheter à la pièce ou en infime quantité,… ils paient les “produits de grande consommation” dont les gratifient les capitalistes à un coût d’autant plus élevé. Ces “produits de grande consommation” sont des marchandises pour lesquelles les frais de production ont été drastiquement réduits; ils sont de mauvaise qualité, la finition en a été abrégée pour économiser des salaires, les matières premières ont été réduites à des produits de synthèse saturés de composants toxiques. Et au bout du compte, le contenant (l'emballage) coûte plus cher que le contenu. Les bourgeois viennent ensuite nous faire la morale parce que leurs emballages jonchent les rues et posent des problèmes de salubrité publique (ramassage, élimination, recyclage). Curieusement, ces bourgeois nous tiennent des discours sur la pollution de la terre mais aucunement sur la pollution de notre quotidien, du dénuement toujours plus grand dans lequel nous devons vivoter, de la saturation de nos cellules qui ne savent plus quoi faire des toxines accumulées. La généralisation de ces "produits de grande consommation" impose de fait une dégradation toujours plus agressive de la qualité de vie.

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